Exposition du 12 janvier au 17 février 2018
du mercredi au samedi de 14h à 19h
et sur rendez-vous jusqu’au 1er juin 2018
L’exposition La saison sèche présente des éléments réalisés et rassemblés par l’artiste Benoît Laffiché en lien avec une commande qui lui a été confiée. Il s’agit d’un film, d’un livre, d’une photographie, d’une affiche et de documents d’archives, tous liés à un travail mené en Casamance, au Sénégal, entre 2013 et 2016.
En 2013, des membres de l’association francilienne Diaspora Casamance ont saisi l’action Nouveaux commanditaires afin de commander une œuvre à même de raconter leur région si particulière par sa position géographique enclavée, sa proximité culturelle avec la Gambie et la Guinée Bissau et enlisée dans un contexte de conflit armé qui sévit depuis 1982 entre rebelles et pouvoir.
Le film OKONORO, réalisé par Benoît Laffiché en réponse à cette commande, a été tourné dans trois lieux : une rizière, le fleuve Casamance et le village diola Djiguinoum (où le réalisateur géorgien Otar Iosseliani a tourné en 1978 le film de fiction Et la lumière fut, quelques années avant le début du conflit armé d’indépendance).
OKONORO (du prénom d’un des personnages du film d’Otar Iosseliani) a été réalisé avec l’aide d’une petite équipe de personnes que l’artiste a rencontrée en Casamance et en France. Le film montre des séquences de la vie quotidienne : le travail des femmes dans les rizières, la pêche sur le fleuve Casamance, et un moment exceptionnel organisé par Benoît Laffiché, quand il a projeté Et la lumière fut dans le village Djiguinoum où le film avait été tourné 40 ans auparavant. Ce fut une première pour de nombreux villageois qui n’avaient jamais vu le film d’Iosseliani dont ils étaient les acteurs.
Certains s’y sont reconnus, d’autres ont pu discerner des proches aujourd’hui disparus, les enfants ont découvert les anciens et les ancêtres.
Le film OKONORO trace des allers-retours entre la fiction d’Otar Iosseliani et le quotidien des vies, et fabrique une forme cinématographique où la lumière, la couleur, le son et les mots tentent, par une absence de narration, de s’approcher de la beauté hésitante de ce territoire.
Le livre Ce que j’arrive à faire avec une faucille, je ne peux pas le faire avec un couteau -est une transcription des conversations captées dans les rizières.
Lors des nombreuses séquences tournées dans les rizières pour OKONORO, les ouvrières discutaient sous le soleil écrasant. Piqué par la curiosité de savoir ce qu’elles racontaient, Benoît Laffiché a décortiqué les heures de rushes. Les conversations mêlent plusieurs langues (mandingue, diola, ballente, manjaks…) et leur traduction en français a demandé l’implication de plusieurs personnes du village et de la diaspora.
La culture du riz, culture vivrière en Casamance, est essentiellement gérée par les femmes. Cette culture d’Oryza glaberrima (nom latin d’un riz rouge de basse et moyenne Casamance) joue un rôle majeur dans l’autosuffisance alimentaire des familles et dans l’indépendance financière des femmes qui sont employées à la journée en fonction des tâches à opérer dans les rizières.
Les deux ethnies majoritaires de la Casamance, diola et mandingue, se positionnent différemment vis-à-vis des femmes. Pour les Diolas, le système est égalitaire entre hommes et femmes, l’ethnie ne reconnaît pas le principe d’autorité. Chez les Mandingues, dans le cadre des travaux les plus durs de la riziculture, les hommes tendent à considérer les femmes comme un instrument de production.
Les documents d’archives sont composés de calendriers agriculturaux qui dessinent la répartition du temps de travail par semaine et par culture en Casamance. Ils datent de 1982, cette année même où, en décembre, la première manifestation du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance) a été réprimée violemment par le pouvoir sénégalais et où la lutte armée pour l’indépendance a commencé.
L’affiche est une capture d’écran extraite du film OKONORO tourné au large de la Gambie depuis le ferry qui assure le trajet entre Dakar et Ziguinchor. C’est une image emblématique de l’enclavement de la Casamance (la liaison avec le reste du pays et la capitale est assurée par bateau ou par avion, un trajet long ou couteux). Ce plan sur la mer, désynchronisé et superposé, porte la même coloration magenta que celle apparue par erreur lors de la projection du film d’Otar Iosseliani organisée à Djiguinoum. C’est un clin d’œil assumé par l’artiste aux difficultés qui ont marqué l’organisation de cet évènement.
La photo est celle d’un gamin déguisé en Kankourang.
Le Kankourang est associé aux cérémonies de circoncision et aux rites initiatiques des Mandingues. L’apparition de cette figure mythique, violente, crainte est marquée par une série d’étapes rituelles qui jouent un rôle de régulation et de préservation des valeurs sociales. Avec la réduction des surfaces des forêts sacrées, le rituel se trouve aujourd’hui banalisé.
Le Kankourang a été élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.
L’œuvre de Benoît Laffiché s’attache à l’image en mouvement, aux pratiques documentaires, aux prélèvements sonores pour tenter une expérience du réel à travers des questions de territoire, d’archives, d’altérité et de mondialité.
Les expériences qu’il met en forme, sans aucune injonction préalable, s’intéressent aux formes nécessaires pour rendre compte des logiques et des esthétiques des sujets et des territoires.
Mari Linnman
La Saison Sèche, exposition de Benoit Laffiché
Liste des œuvres et pièces exposées :
• OKONORO, 2017
Film HD 20 min, réalisé avec l’aide de la Fondation de France, du FRAC Bretagne, de 3CA et d’un grand nombre de personnes aidantes.
• Ce que j’arrive à faire avec une faucille, je ne peux pas le faire avec un couteau, 2017
Livre édité par Hothouse studio, 104 pages. L’édition présente des extraits de conversations d’un groupe de femmes au travail dans les rizières de Casamance.
• Les mers, 2017
Tirage sur wallpaper, 150 x 100 cm
• KANKOURANG, 2017
Tirage nb à jet d’encre sur papier baryté 10x7cm, encadré 20 x 30 cm
• Documents d’archives
Mision d’évaluation : Aspects socio-économiques de la riziculture en basse et moyenne Casamance / Ph. Bonnefond – MRE-CD A. Ceget – CNRS